L'aventure de proximité

« J'ai tendance à militer pour l'aventure de proximité. Partir au pas de sa porte pour aller agrandir son horizon tient pour moi de la simplicité, d'une évidence trop peu envisagée. Je n'ai rien trouvé de plus accessible matériellement et financièrement. »
Yann Durand, Un fleuve de possibilités, Editions Atlamé, 2014
Une randonnée avec les enfants en partant de chez nous, direction Chartres par l'un des chemins de Compostelle ; quatre saisons en camping-car et en Ile-de-France : voilà le menu de nos prochaines aventures. Tout comme Yann Durand, parti rejoindre l'Atlantique et la Méditerranée à pied après l'annonce d'une maladie chronique, puis se juchant sur son stand-up paddle pour descendre la Charente jusqu'à son embouchure océanique, je n'ai jamais eu besoin de partir loin pour voyager. Mes plus vives curiosités, bien qu'émerveillée par la diversité du monde, me conduisent à ouvrir les frontières au seuil de notre quotidien. Il me faut arpenter la terre en commençant par le coin de la rue, ressentir l'espace que je traverse par des modes de transport lents, habiter les lieux pour rencontrer les gens qui y vivent et y travaillent.

J'ai découvert l'ethnologie sur le tard mais je l'ai pratiquée 10 ans (dont 6 ans de thèse, avec des activités professionnelles en parallèle). Graffiteurs anti-publicitaires du métro parisien ; danseurs et musiciens de bals folks ; scripteurs de prières sauvages dans les églises parisiennes et institutionnels catholiques les accueillant bon an, mal an ; habitants et travailleurs des quartiers périphériques se battant pour maintenir des services publics ; développeurs d'applications mobiles pour l'amélioration de l'environnement urbain : mes enquêtes ont toutes été conduites sur des terrains proches. Non pas que le Cambodge, l'Alaska ou l'Equateur me rebutaient particulièrement, mais parce que je sentais combien « l'ici » pouvait contenir de richesses ignorées.

La célèbre phrase d'introduction de Tristes tropiques de Claude Levi-Strauss -- « Je hais les voyages et les explorateurs » -- m'a toujours fascinée, en tant que critique d'un exotisme débouchant sur la fabrication de stéréotypes, dont se repaissent les médias et l'industrie touristique. Pourtant, j'adore les récits de voyage et d'exploration lorsqu'ils sont menés à la première personne, le « je » limitant l'effet généralisateur et assumant l'aventure intérieure.

Ce que je déteste dans ces récits, et que je vais bien prendre garde de ne pas reproduire, c'est le versant de la critique facile envers ceux-qui-ne-font-pas-comme-moi. Le voyageur a eu une révélation, et du haut de son épiphanie regarde le petit monde des besogneux qui n'ont rien compris à la vie. Critique du sédentarisme lorsqu'on est nomade, de l'habitat classique si on vit en yourte ou de l'exotisme si on randonne près de chez soi :  il y a toujours une masse de sots moutonniers emprisonnés dans leur caverne, que le voyageur se fait fort d'éclairer. Même le génial Thoreau m'exaspère dans ses rodomontades à l'égard des paysans endettés de la région de Concord : les bougres, que n'ont-ils un simple arpent de terre pour leur auto-subsistance et une maisonnette pour abri, au lieu de s'échiner au travail dans l'illusion de posséder ? (Henri-David, sache que désormais il existe à l'orée du bois qui t'a accueilli 2 ans, 2 mois et 2 jours un Thoreau's Walden Bed & Breakfast et que sur Tripadvisor, les clients sont ravis à l'exception d'un hôte ayant trouvé des cheveux sur la descente de lit.)

En matière de mode de vie, c'est l'uniformité qui me semble ravageuse et « il faut de tout pour faire un monde » une sagesse plus prometteuse. Si je sens qu'il est essentiel pour moi de vivre une expérience d'habitat alternatif au grand air, non pas comme respiration dans un morne ordinaire mais dans un quotidien lui-même transformé, en quoi devrais-je critiquer les heureux habitants d'appartements ou de lotissements ? Je ne suis moi-même pas malheureuse en appartement, j'ai un toit sur la tête alors que j'en ai parfois manqué, je mesure cette chance. J'ai simplement la nostalgie d'un rapport aérien au monde, que ces trois semaines passées sous la tente à 7 mois de grossesse m'ont soudainement rappelé. La randonnée et la course à pied ont été des moyens détournés d'y parvenir, mais ces activités s'inscrivent dans le loisir des jours. Habiter autrement est un rêve personnel, conjugué au pluriel avec mon compagnon et nos enfants. Je peux le voir comme un art de vivre ou un outil de résistance, il n'en demeure pas moins que mes semblables ont le droit de former d'autres rêves, dans d'autres espaces.

Ceci est le deuxième billet sur notre projet d'habitat familial alternatif. Retrouvez les autres billets ici : - Romans d'été
- Faire vivre le rêve
- "Life is huge, live Tiny !" : le mouvement Tiny Houses 

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