WishWall

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Je m'en souviens comme un jour de printemps. Dans cette ville à l'air libre, on avait pour habitude d'inscrire des mots sur de petits morceaux de papier, quand on désirait quelque chose. D'abord notre prénom, puis trois vœux, dans l'ordre d'importance. On écrivait uniquement pour les autres, jamais pour soi-même. Il n'était pas nécessaire de consigner le nom du bénéficiaire de ces demandes : à chaque coin de rue, sous un abri vitré, des panneaux d'affichage réunissaient les désirs des uns et des autres pour telle ou telle cause. Au croisement du boulevard de Strasbourg et du boulevard Saint-Denis, c'était le panneau pour les voyageurs au long cours, boulevard Arago-rue de la santé, pour les prisonniers, avenue Trudaine-rue Turgot, pour les causes désespérées. Ce dernier panneau rencontrait d'ailleurs un tel succès qu'il avait dû être transféré place de la Concorde, mais il fut définitivement déplacé au jardin des Plantes lorsque plusieurs piétons trouvèrent la mort en voulant traverser la voie réservée aux automobiles.

Ce jour-là, une chasse aux œufs était organisée dans le parc des Buttes-Chaumont. Les enfants avaient conquis tout l'espace, sous le moindre brin d'herbe se trouvait une kickers. Une grande table d'école avait été dressée sous un auvent. Elle laissait à la disposition du public des feutres de couleurs et des post-it. Les animateurs de la municipalité incitaient les enfants à écrire leurs premiers vœux, mais les grands pouvaient aussi contribuer au « panneau pour Haïti » — Haïti, l'une des îles les plus pauvres de ce qui constituait alors la mer des Caraïbes. C'était un panneau d'apprentissage, où les gamins s'ouvraient aux mystères de l'écriture votive. Un moment important, accompli en famille, qui faisait souvent l'objet de photographies souvenirs. Afin de les aider à présenter leurs vœux, un formulaire était proposé en exemple, en tête du panneau : « Je m'appelle ... et j'aimerais que tous les enfants d'Haïti aient le droit... » Mais cette pancarte pour enfants n'en était pas moins un vrai panneau, chargé de la même force que les autres.

Personne, pas même les enfants, ne comptait réellement sur l'efficacité directe de ces vœux. Il arrivait qu'exceptionnellement un miracle ait lieu, issu de l'un des messages — du moins, c'est ainsi que le présentaient les journaux. Ce qui importait vraiment, c'était d'écrire ensemble et de matérialiser de façon collective ses désirs. Ce que l'on souhaitait aux autres, on le voulait aussi pour soi : « être libre... rêver... apprendre... » Bien évidemment, ces panneaux propitiatoires avaient aussi leurs frères obscurs. Sous les tunnels de l'ancienne ligne de chemins de fer de la petite ceinture étaient organisées des réunions secrètes où l'on inscrivait tout le mal que l'on souhaitait à son prochain. Mais les technologies de la communication évoluant, de multiples avatars récréatifs furent également inventés : des Wishwall étaient hébergés sur les serveurs du monde entier et pouvaient être recouverts depuis un téléphone portable, un ordinateur ou un e-book connecté à l'Internet. Dans l'espace public de nos villes, des écrans géants reproduisaient ces messages — mais il fallait payer pour y figurer. Les simples panneaux de plexiglas sur lesquels on collait nos post-it n'avaient pas pour autant disparu : on s'amusait autrement, mais on y revenait toujours. Puis il y eut le séisme.




Commentaires

Clara - TKH a dit…
Et l'isthme, du Château à Chassiron !
Je reviendrai faire un tour dans ta maison-blog, Aurélia, j'ai besoin d'en prendre le temps.

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